Belly Button – Debeso

Dans une lettre en papier glissée dans une enveloppe timbrée – eh oui, on s’écrivait comme ça en 1996 ! – faisant écho à l’envoi d’une démo de mon trio d’alors, Beeswax, Pierre Viguier (Drive Blind / Tantrum) me conseillait de jeter une oreille attentive sur plusieurs petites formations de jeunes qui montaient, dont un duo basse/batterie bordelais nommé Belly Button. C’était la première fois que j’en entendais parler.

Un duo basse/batterie ? Et c’est tout ? En cette ère post-grunge, difficile d’imaginer du rock sans l’indissociable 6-cordes. A l’époque, les duos basse/bat’ n’étaient pas légion et quelque peu confidentiels. Je n’en connaissais que deux : les japonais de Ruins menés par le virtuose de la baguette Yoshida Tatsuya et le couple ricain à la ville comme sur scène basé en République tchèque qui officiait dans Sabot.

La seconde évocation du nom Belly Button, c’était sur le mini-CD livré avec le fanzine Abus Dangereux (face 45, mars/avril 1996). « Chicanos » ne m’avait pas laissé un grand souvenir. Il faut dire que j’étais encore dans ma phase nirvanesque et softcore mélodique. Le chant et la mélodie étaient pour moi primordiaux dans un groupe, alors bon … une simple basse et une batterie … ce n’est pas avec cette formule que j’allais trouver mon compte.

Plusieurs mois passent jusqu’à ce 10 novembre 1997, jour froid et pluvieux. Ce soir-là, Belly Button partage l’affiche avec The Married Monk et God Is My Co-Pilot, entre autres, au festival Musiques Volantes de Metz. Le guitariste de mon groupe venait de nous laisser tomber quelques semaines plus tôt et mon batteur et moi avions entamé une série de répètes en formule basse/batterie, en attendant un potentiel remplaçant. Toutefois l’idée d’éventuellement poursuivre l’aventure à deux s’était mise à germer, nos jams commençant à ressembler à quelque chose … Quoi de plus normal donc que de se déplacer à ce concert pour se rendre compte de visu à quoi ce type de combo pouvait bien ressembler !

Dès l’entame de leur set, l’énorme potentiel du groupe de Fred et Franck m’avait sauté aux oreilles, amorçant en moi un sentiment de jubilation. Leur prestation m’avait tellement emballé que je m’étais précipité au merch’ pour acquérir leur tout nouvel opus « Debeso », sorti quelques semaines auparavant, et qui faisait suite à l’EP « Both » encore inconnu pour mes oreilles.

« Debeso » (出ベソ – littéralement « nombril protubérant » en japonais, et à ne surtout pas prononcer « débézo » mais « débéSSo », comme on ne prononce ni « Ozaka », « wazabi » ou soupe « mizo », par pitié ! Le S nippon n’est pas un Z ! ) contient pas moins de 19 titres pour 54 minutes de musique, dont quelques morceaux assez courts et 3 « virgules », ces petites interludes brèves et marrantes de même pas 30 secondes. 54 minutes !!! De quoi rendre l’écoute d’une traite un peu ardue de prime abord. Mais dès l’intro de l’album, « 4W », le ton est donné. Le son de la basse de Fred « King of tapping » Bourdil, puissant, distordu, agressif, se complète à merveille avec la batterie de Franck Stofer, précise, sèche, inventive, virevoltante, un croisement entre Nomeansno première époque et Victims Family, soit un mélange de hardcore teinté de free-jazz (taxé de groupe « freecore » par les spécialistes des inventions de genres musicaux). Le groupe voulait que cet album sonne live, l’objectif est amplement atteint grâce au travail de mixage bien maîtrisé de Gilles Théolier (Ludwig Von 88, Deity Guns, etc). La structure classique couplet-refrain des morceaux canalise les rythmes groovy et syncopés sans engendrer la moindre impression de routine.

L’album alterne les morceaux instrumentaux et ceux chantés, parfois à deux voix (la prouesse des parties de ping-pong vocal sur « Sugar Me » et « Highway Cooker » laisse admiratif). L’humour est aussi de la partie : notamment sur le floutiglotte « Mmmtttssskkk » compréhensible par n’importe quel pékin de la planète (l’exécution vocale en double croche de Fred dans le refrain, en parfaite synchro avec la descente de toms, n’est pas un truquage sonore !), sur le polyglotte « Yabdebo » (mes oreilles entendent « fuck off! », « pousse toi ! » ou « mongol ! » mais rien n’est moins sûr) ou bien encore sur l’inquiétant « Miles » (« Miles is said not be joking at all! »).

Il faut plusieurs écoutes et une bonne dose d’effort de la part de l’auditeur pour bien ancrer dans le crâne les morceaux et apprécier « Debeso ». Mais une fois l’entrée forcée, c’est un réel plaisir d’en apprécier les richesses, d’en saisir toutes les nuances et finalement réaliser que quatre grosses cordes bien solides peuvent être incroyablement mélodiques et tenir la dragée haute à 6 bien plus chétives et fragiles !

Aux orties les guitaristes. Beeswax est resté un duo. Notre formule Bellybuttonesque a même convaincu Tantrum, peu de temps après, de partager avec nous un split 45 !