La première impression que m’avait laissé cet album du trio lyonnais Happy Anger, et cette impression était franche, c’était l’omniprésence tutélaire de Fugazi. La grammaire des guitares ; cette façon volontaire d’inarticuler les textes en anglais, Fugazi. Les ping-pong vocaux ; des paroles gorgées de fond (obéissance aveugle, soumission à la TV, surveillance, etc.), scandées à en devenir mélodiques, Fugazi. Cette intransigeance à considérer la spontanéité, la prise live, l’imperfection comme seule vérité ; créer les conditions de sa propre liberté en montant son propre label, Fugazi. Cette façon orfèvre et ludique de se libérer des codes rythmiques usuels, Fugazi, Fugazi, Fugazi.
Mais ce qui rapprochait peut-être le plus ce premier album d’Happy Anger de son mentor américain, c’est cette succession ininterrompue de morceaux passionnants. Les traces d’usure sur mon CD attestent de la régularité avec laquelle celui-ci a quitté son boîtier pour rejoindre une platine lors des deux décennies et des patates qui ont suivi sa sortie.
Nous voilà donc bien au-delà de la millième rotation et je ne pense plus à Fugazi. J’ai même du mal à ressentir à nouveau ce sentiment de copie carbone qui m’apparaissait si évident jadis. Aujourd’hui, je pense à Lysistrata, Totorro, ou d’autres groupes français actuels qui ont trouvé leur public, cette scène qui se libelle « math-rock » très naturellement et que son auditoire, nombreux, porte sur un piédestal. Parmi eux aujourd’hui, avec son dosage impeccable de groove et de ruptures, son intelligence, sa sincérité, sa puissance émotionnelle, Happy Anger serait au centre de toutes les attentions. Mais dans la vraie vie, le trio vécut brièvement et à ce « Nonsense… Dreams » ne succéda qu’un mini-album discret. Le destin, ce rêve incohérent.