Sleeppers – Subconscious Nocturnal Activity

Pour accompagner la sortie de ce deuxième album de Sleeppers, Vicious Circle annonçait un disque bruitiste et mélodique avec « Unsane et Neurosis en ligne de mire ». Un dossier de presse se doit d’être court et incisif as hell, malheureusement le Diable se cache dans les nuances et la formule se transformera en raccourci assez systématique dans les fanzines de 1997. Certes, l’univers de « Subconscious Nocturnal Activity » interpellera celles et ceux qui ressentent épidermiquement les assauts acides d’Unsane et la noirceur profonde de Neurosis. Mais le rapprochement avec ces deux références (avec lesquelles Sleeppers a tout de même pactisé lors d’une tournée mémorable l’année précédente) n’apparait qu’en filigrane dans la noise du trio bordelais autant empreinte de sludge que de punk hardcore. Complexe, brut et diablement fin à la fois, le désormais power-trio se révèle sur ces 10 titres absolument dantesque, notamment grâce à un batteur, Fred Girard, qui mine de rien est ce qui se fait de mieux dans le monde des vivants, avec le bon goût de ne pas chercher à l’étaler.

Tout cela est factuel. Mais ce n’est pas tout. Il reste une dimension qu’on ne découvre qu’à ses dépends.

Pour moi, c’était un soir, la veille d’un examen universitaire, fin 1998. D’un côté, une tôle certaine si je ne passe pas la nuit à réviser. De l’autre côté, une sérieuse fièvre et l’insistant appel de l’édredon qui va avec. Pour me donner du courage, je glisse « Subconcious Nocturnal Activity » dans le lecteur. Je le connais par cœur. Comme d’hab, il va me fouetter les fesses. L’anti-berceuse, le contre-feu parfait. J’ouvre mon classeur alors que Le Mal (celui du Bandits, Bandits de Terry Gilliam) me glisse furtivement une confidence à l’oreille. Je n’ai encore pas lu le moindre mot de mon cours qu’une porte s’ouvre. J’avais jusqu’alors cru à un riff de guitare, c’est une porte. Elle est lourde, affreusement grinçante, comme si ses gonds souffraient de ne pas avoir pivoté depuis des siècles. Derrière cette porte, une antichambre pas franchement rassurante. L’obscurité y est épaisse. Il faudra se guider à l’oreille, et celle-ci soupçonne un essaim, de la vermine, du gluant, du rampant. Malgré moi, je m’y faufile. Qu’est-ce que je fous là. « Ashes » accélère, la pente s’accentue, je glisse. Les limbes, sa maigre corniche tranchante. « Cannibal Butcher’s Shop Window » ne propose quasiment aucun appui, son souffle est féroce et Juliette Lewis balance des couperets, je dévisse encore. « Super-8 Eyes », pluie de boue, de sang, de pieux. La batterie, qui jusqu’alors volait avec la grâce menaçante d’un oiseau de proie, s’est abattue. C’est maintenant une chienne noire et la bête a faim. Son menu se planque sous mon crâne, qu’elle s’acharne à vouloir éclater entre ses molaires. Il ne résistera pas longtemps. Ma peau se hérisse de clous, un feu me consume mais moins que les hurlements damnés : – « Silence! Sickness! Weakness! » (« Al: 4.26 am »), qui m’assiègent un tympan et moins encore que leur contre-cris que je ne déchiffre pas mais hostiles, ça j’ai pigé, tourmentant le tympan opposé. Inexorablement, je m’enfonce, encore, titre après titre, cercle après cercle. Traversée de profondeurs impensables, des températures insoutenables. Et aux abysses, le froid. Glacial, métallique. Urbain. Les voix se sont tues et dans cette ultime étendue, « Infra Schizo Dub », on compte les corps. L’étape finale en vingt minutes de tribalité cyberpunk instrumentale, est, de loin, la plus éprouvante du voyage.

Le disque s’achève. Mon classeur est ouvert devant moi, toujours sur sa première page. Les images et sensations que je viens de traverser resteront scarifiées dans les tréfonds de mon âme, avec lesquels Sleeppers s’est amusé pendant 70 minutes. Parce qu’avec un titre aussi explicite, aucun doute que la créature à trois têtes maîtrise parfaitement les promesses de ce sommet de noise qu’elle vient de produire : « Subconcious Nocturnal Activity ».

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