Portobello Bones – Refuse To Keep Silent

Portobello Bones se fait connaître en 1995 avec l’album « Nu », version keupone* d’un chamanisme à la Neurosis et sentant fortement le Distorted Pony sur certains morceaux. L’année suivante sort « Portobello Amigos » qui change la donne. Il s’agit d’un recueil de collaborations avec des compagnons de route tels que Burning Heads, Hint, Near Death Experience, Beamtrap et les inattendus Ouled El Raï. La majorité des morceaux sont des reprises plutôt bien senties hormis « No Vote » et « Nashta », où la noise de rigueur entremêlée de chants en arabe et de samples se trouve revêtue d’une aura inédite. L’osmose est parfaite, la musique des Portobello Bones s’est enrichie et ne sera plus jamais vraiment la même.

Mais attention avec les mélanges, les résultats douteux sont légion : nous sommes en 1998 et le monde subit la conjonction de deux calamités, le rock fusion et son variant en passe de le supplanter, le nu metal. Led Zep essoré, palm muting et slap plombés, zigouigouis électro ou samples « world music » y côtoient ersatz de rappeur/brailleur en dreadlocks et baggy. Sans parler des textes engagés aussi sincères qu’une campagne de pub United Color of Benetton et taillés pour être repris en chœur par les consciences aiguisées des fins de soirée IUT génie méca. Plutôt que de fusion on parlera de Gloubi-boulga, avec le même effet sur le système digestif que le combo Finkbräu/whisky Lidl en vigueur dans lesdites fêtes. Si les mélanges sont essentiels pour éviter la simple recopie, grande est la tentation d’en faire un programme, une simple recette dont la seule issue est un résultat criard et caricatural.

Rien de tout cela ici, Portobello Bones évite les pièges. Le EP « Horma » confirme que quelque chose a changé dans la noise monochrome des débuts et préfigure « Refuse To Keep Silent », acmé discographique sorti en 1998, équilibre parfait entre punk, éclats de métal et touches d’expérimentation qui ne tombent jamais dans l’ostentatoire. Un des tout meilleurs disques que la scène noise endogène ait pondu, parfois mélodique («If She Had Not Had Me», «Jailed For Having An Abortion») mais toujours abrasif (« Epidemic Supervision Center », « Hasta Cierto Punto »), à l’image du « Be A Vegetable » de Drive Blind.

Un album truffé de tubes à l’efficacité imparable, à tel point que l’on peut de se demander si ces chansons-là ne pourraient pas séduire encore aujourd’hui un plus large public, au delà de l’amateur de fatras punk noise. Et pourquoi pas un habitué du Hellfest pour peu qu’il ait une hygiène auditive (et corporelle si possible) au-dessus de la moyenne ? Malheureusement – ou pas – l’audience des Portobello Bones ne dépassera jamais les circuits alternatifs et, emportés par leur élan, ils se planteront un peu sur leur dernier album en se vautrant parfois dans les écueils cités plus haut. On ne leur en veut pas, le risque de dévisser un jour ou l’autre paraissait inévitable tant l’exercice était périlleux et l’équilibre fragile. Il est simplement recommandé pour les découvrir de ne pas commencer par la fin mais par le sommet.

* et à mon sens un peu vaine, au risque de se faire molester par certains de mes congénères qui portent ici-même aux nues « Nu ».