La vie s’écoule doucement dans les Alpes dans les années 90. Jorg Heider est le premier dirigeant d’extrême droite qui accède à des fonctions exécutives en Europe depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale. Ce qui apparaît comme une anomalie honteuse pour le reste de l’Europe n’est que dans la continuité d’un Kurt Weildheim, président de l’Autriche de 1986 à 1992 et accessoirement ancien nazi. Fun fact : c’est la voix de Weildheim, en tant qu’ancien directeur général de l’ONU, que l’on entend sur le message de paix embarqué dans la sonde Pioneer à l’attention des éventuels extra-terrestres… À l’ouest du Liechtenstein, dans la contrée de Marc Rosset – le plus grand tennisman helvète de tous les temps- des histoires datant de la guerre refont aussi surface, elles concernent la spécialité locale, les comptes bancaires : ceux ouverts par les nazis et ceux appartenant à des juifs disparus que les banques helvètes ont continué à faire fructifier.
Niveau musique, sorti de Mozart et Conchita Wurtz il faut bien avouer que l’Autriche est une Terra Incognita, à la différence de la Suisse, terre d’élection des Young Gods (demi-dieux de l’indus), de Stephan Eicher (qui lui aussi a fait de l’indus) et de la Danse des Canards (élevage indus). Mais il faut se méfier de l’eau qui dort, on sait aussi faire du bruit sur les terres des Habsbourg-Lorraine, et même du bio.
- Autriche : Bulbul, Fuckhead, Pest, Valina, Sans Secours, Naked Lunch, Maische, Karge, Scrooge, 3 Gordons, Heiland Solo, Extended Versions
- Röstigraben-Ouest : Goz Of Kermeur, Knut, Sinner DC, Honey For Petzi, Shovel, Favez, Autopsy, Young Gods, Last Torridas
- Röstigraben-Est : Alboth!, Roy & The Devil’s Motorcycle, Bishops Daughter, Shatter, Designer, 16-17, Sundower, Blue Water Boy, Ferguson
Playlists
Autriche
Vienne était le centre culturel de l’empire austro-hongrois, dans les années 90 elle est le principal foyer de la scène noise autrichienne, pour preuve cette compilation de 1992 du label Trost records.
Le Bulbul (Linz, puis Vienne) à ventre rouge est une espèce de passereau de la famille des Pycnonotidae. Accessoirement, c’est une sorte de Buthole Surfers dévalant les alpages, qui piaille toujours 25 ans après sa naissance. Un des oisillons a débuté dans un Fuckhead (Linz) à l’urgence particulièrement convaincante. On retrouvera plus tard un autre spécimen dans Pest que l’on ne qualifiera pas de pest-rock parce qu’il y a des limites aux jeux de mots pourris.
Valina est également originaire de Linz mais a surtout évolué dans les années 2000 dans un registre mathrock niveau CP-CE1 qui rappelle parfois le Q and Not U de Washington DC.
Sans Secours (Graz) vient de la capitale de la Styrie (attention à l’orthographe sur Google map pour s’y rendre). Le groupe oscillait entre post-hardcore bien dans l’air du temps et accalmies bien senties nourries à l’apfelstrudel.
Sans Secours : « Need » (1996) / « Reverb » (1998) / « Boogie Down » (1999)
Si la ville d’origine de Naked Lunch, Klagenfurt, sonne comme un bon gros gâteau bien gras, la musique du groupe, penche du côté d’une pop noisy sucrée avec modération.
Maische (Vienne) hisse très haut la noise sur son album « Brand » de 1992 aux riffs ultras efficaces, agrémentée de temps à autre de mélodies bien ficelées ou de saillies saxophoniques.
« Brand » (1992)
Karg (Vienne) sort en 1992 un album singulier, bruyant et déjanté, agrémenté de touches de piano et de violon.
Scrooge y va aussi de son violon, accompagné parfois de cuivres, pour balancer une musique entre Blonde Redhead lo-fi et The Ex.
3 gordons est un peu Sonic Youth, un peu grungy. Heiland Solo est un peu grunge, un peu Led Zep, et psyché en Extended Versions.
Röstigraben-Ouest
La visite de la Suisse commence à l’ouest de la ligne de partage imaginaire entre la suisse romande de l’alémanique.
Les âmes dérangées de John Zorn ou Mike Patton planent au-dessus des aventureux Goz of Kermeur (Genève).
Knut (Genève) est un peu le cousin suisse de Tantrum, du bon gros metal saccadé, raide comme le mont Salève.
« Leftovers » (1997)
Sinner DC (Genève) a démarré en troussant de belles chansons noisy avant de céder aux sirènes de l’électronique dans les années 2000 de bien belle manière.
Certes la carrière de Honey for Petzi (Lausanne) se déroule majoritairement après 2000 mais ses premiers pas entre pop et expérimentation sont déjà très convaincants.
Shovel (Lausanne) a sorti un unique album de post-hardcore à l’Américaine (réédité chez Head Records), à la différence de la carrière pléthorique de Favez pavée de mélodies qui elles aussi sentent bon le Nouveau Monde.
On est un peu foufou à Neuchâtel. Déjà dans les années 80, Débile Menthol et son « Très Amusant, Major Émile Au Jardin Pathologique » marquait son prog jazz du sceau de l’absurde. Autopsy (Neuchâtel, Auvernier) reprend le flambeau en 1991 et hisse le Black Flag avec son unique album « A fondre la graisse à fond la caisse ».
Le cas des Young Gods (Fribourg) soulève de multiples interrogations : noise ou pas noise? Röstigraben ouest ou röstigraben est ? Nous, on s’en moque un peu, c’est made in Switzerland, leur nom a été inspiré par les Swans et ils leur interprétation de Kurt Weil sonne comme du Rammstein écoutable. Surtout, deux Young Gods, Cesare Pizzi et Franz Treichler, ainsi que la femme de ce dernier, Helene Wube, ont débuté dans le groupe punk Johnny Furgler & the Raclette Machine. Et ça, ça n’a pas de prix (même si le groupe s’est renommé par la suite Jef & Jam). Helene Wube a entre autres joué dans Last Torridas qui déboitait grave en live.
« Young Gods Play Kurt Weil » (1991) / « TV Sky » (1992) / « Only Heaven » (1995) / « Second Nature » (2000)
Röstigraben-Est
Etant donné l’accent des Suisses Alémaniques, c’est sûr, ils savent y faire là-haut niveau noise.
Alboth ! (Berne) n’est pas neutre, plutôt extrême, tendance Zorn ou Fantomas. Toujours dans la capitale de la confédération, les groupes Roy & The Devil’s Motorcycle et Bishops Daughter puisent leurs racines dans le blues maléfique et le noisabily. Redoutablement bien.
Alboth! : « Ali » (1995) / «Ecco la Fiera » (1999)
La musique bâloise est aussi polluée que son industrie pharmaceutique. Shatter rappelle Sonic Youth pour la torture des guitares et Unsane pour le côté torture tout court. On retrouvera un an plus tard dans la décennie (le groupe est daté au carbone 14 de 1990) des musiciens de Shatter dans les excellents Designer.
Shatter : « Shatter » (1990), Untitled (1991), Live (1991) / Designer : « Hiccups » (1995) / 16-17 : « Gyatso » (1994)
16-17 pratique un jazz free indus noise inconfortable. Ce goût pour les substances toxiques à Bâle ne date pas d’hier, preuve avec ce morceau indus bruitiste de The Electric Noise Twist de 1989.
Zurich est la ville de naissance du batteur de Die Haut et de Nick Cave and the Bad Seeds, Thomas Wydler. Mais dans les années 90 elle est surtout bien fournie en groupes emo/screamo comme Sundowner, Blue Water Boy ou bien encore Ferguson. Comme quoi des Suisses énervés, ça existe.
Ferguson : « In black and red » (1996) / Sundowner : « Sundowner » (1999) / Blue Water Boy : « Blue Water Boy » (2000)
Le savoir-faire de la Suisse en termes de bruit ne date pas d’hier, la preuve avec cette compilation de titres du label Helvete Underground qui rien que pour son nom méritait d’être évoqué.