EURONOISE90 Vol. 4 : Slave to Noise

Sélectionner un rond rouge pour explorer un recoin de la noise east coast

Il se trouve que les pays d’Europe centrale se sont ouverts d’un coup à cette époque, avec un énorme soutien des USA. Et plein de groupes US qu’on admirait ont commencé à tourner là-bas, alors qu’ils ne venaient même pas en France!

Lionel Fahy, guitariste de Portobello Bones sur le site Pelecanus, août 2014

Aux premières heures de la décennie, le bloc de l’Est a déjà cessé d’exister. La Pologne et la Tchécoslovaquie élisent leur premier président : d’un côté le très catholique leader du syndicat Solidarność Lech Wałęsa et de l’autre, l’éminent dramaturge Václav Havel qui ne pourra empêcher la séparation des Tchèques et des Slovaques deux ans après son élection. La Hongrie vient de connaître les premiers bouchons post-communistes en ouvrant une brèche à l’Ouest dans laquelle se sont engouffrés des milliers de trabants en provenance de RDA. La Roumanie se remet de la fin sanglante de la dictature ubuesque des époux Ceaușescu. Lui, le « génie des Carpates », elle, la docteure honoris causa de pacotille, abattus par un peloton d’exécution à l’issue d’un procès tout aussi fake que leurs prétendues aptitudes intellectuelles. L’année suivante, en 1991, on découvre l’existence des pays baltes menacés par l’Armée rouge ainsi que celle des autres républiques se détachant d’une URSS que l’on pensait monolithique. Jusque-là, seule l’Ukraine avait eu les yeux du monde rivés sur elle après Tchernobyl.

On ne connaissait pas grand chose de la musique d’Europe de l’Est et cela paraissait normal : il faudrait du temps, pensait-on, pour rattraper cinquante ans d’isolation sonique. Mais était-ce vraiment le cas ? Voici ce que racontait Lionel Fahy, guitariste de Portobello Bones, sur le site Pelecanus en août 2014 : « Il se trouve que les pays d’Europe centrale se sont ouverts d’un coup à cette époque, avec un énorme soutien des USA. Et plein de groupes US qu’on admirait ont commencé à tourner là-bas, alors qu’ils ne venaient même pas en France ! Je te parle des Fugazi, Lungfish, Born Against, et la plupart des groupes de la scène Dischord Records. Et en parallèle, il y avait un renouveau extraordinaire de la jeunesse dans ces pays, avec des bars qui s’ouvraient partout, des squats, et tout une scène d’extrême gauche très présente et très organisée ».

Il était temps de se pencher sérieusement sur cette profusion de groupes bien cachés depuis 30 ans derrière un rideau d’idées préconçues. Et franchement ça valait le coup, avec des groupes polonais dignes de la scène de Louisville, une Hongrie singulière imprégnée de son d’Europe centrale, un foyer de shoegaze en Tchéquie, une Ukraine no wave et un groupe balte qui maltraite ABBA façon Sonic Youth sur les antennes de John Peel…

Sommaire

  1. Solidarnoise : Portobello Bones, Ewa Braun, Kinsky, Multicide, Marchlevski, Thing, Piąta Strona Świata, Ścianka, Kristen, Mordy, Starzy Singers
  2. Punk jazzo-Hongrois : Akosh S, Tudosok, Másfél, Persona non grata, Kampec Dolores, Trottel, Vágtázó Halottkémek (Galloping Coroners), Korai Öröm, Tekintetes Úr
  3. Czechgaze et Bratisla Noise : Naked Souls, Toyen, Sheena’s normal day, Moving Holiday, Teen Love Sex Doll, Ecstasy of St.Theresa, Umakart, Here, Gnu, OTK, Zabloudil/A, Sabot, Michael’s Uncle, Waawe, Slut, Lvmen
  4. Le bruit de l’Ukraine : Ivanov Down, Sheik Hi-Fi, Foa Hoka, Uksusnik, Yarn, Elektryky (The Electicians), Godzadva
  5. Estoniew wave : Röövel Ööbik, Bizarre, Metro Luminal, Pedigree, Borax, Anna vannā kāpēc, Project Hall, Kartāga, Kancia, Glass Sky

Playlists (YT plus fournie)

Solidarnoise

Dix ans avant la polémique du plombier, il y eut l’affaire du Portobello polonais (Tourszlow). C’est Lionel Fahy, guitariste de Portobello Bones, qui le raconte dans la suite de l’interview sur le site Pelecanus :  » On a même eu un album sorti en Pologne ! Ça s’appelait « Use your Head » et c’était sur Kukuryku, un label mythique qui publiait en K7 tous les gros groupes du moment ! Ils avaient même les Dead Kennedys sur leur catalogue !  »

A noter que sur Discogs, c’est le label Trująca Fala (Sopot) qui est crédité pour « Use Your Head ». Par contre ce qui est sûr, c’est que le coq polonais fait kukuryku.

Ewa Braun (Słupsk avec un l barré) a sorti son premier album en 1991 dans une veine punk hardcore bruitiste. Le groupe s’est ensuite essayé à des ambiances légèrement psyché sur l’album de 1994 très justement nommé « Love Peace Noise » (plus noise que peace tout de même). Puis il a évolué vers un post-rock bruyant : à l’image d’un Shipping News, le groupe est en pleine maîtrise de son art à partir d’« Esion » en 1996 et « Sea Sea » en 1998. Par contre, quelle idée d’avoir pris un tel nom1.

« Sea Sea » (1998)

Un membre d’Ewa Braun a sorti un album électro expérimental en 1998 sous le nom Mapa, d’autres jouent une musique plus apaisée dans Niski Szum ou maltraitent encore aujourd’hui leurs guitares dans le très beau Titanic Sea Moon.

Piąta Strona Świata (Bydgoszcz) est encore un peu frais sur son premier album en 1999. Il faudra attendre « Last » en 2000 pour que la noise du groupe prenne toute son ampleur, accompagnée d’une trompette qui fait inévitablement penser à June Of 44 (entre autres).

Thing (Gdańsk) fait de la noise en bonne et due forme, ardue et étouffante.

Thing : « Rudder » (1997)

Kinsky (Varsovie) a été fondé par des étudiants en philosophie. S’il est difficile d’estimer l’influence de Spinoza ou de Kant dans le hardcore metal no wave infernal du groupe, elle est flagrante pour ce qui est des textes dont deux titres sont en français : « L’Homme Machine »2 et « Histoire de L’Oeil » (roman de Georges Bataille). Les projets suivants, Multicide et Marchlevski sont encore plus extrêmes dans le geste bruitiste, à tel point que l’algorithme de suggestion de Youtube a fini en PLS (à moins que Mireille Mathieu soit la muse de la noise sataniste polonaise). Une biographie du groupe est disponible ici.

Kinsky : « Copula Mundi » (1993) / Multicide : « Lebenstod » (1993) / Marchlevski : « Parasitism » (1994)

Ścianka (Sopot) sort en 1998 un album de garagepsychrétrospacerocknoise réjouissant. De nombreux disques suivront ainsi que de multiples projets, dont le très réussi post-rock de Kristen. Même année, même ville (Sopot), Mordy publie un album racé qui pioche dans toutes les facettes de l’indie rock, de la noise au post-rock en passant par les figures tutélaires du lo-fi.

Ścianka : « Statek Kosmiczny » (1998) / Mordy : « Normalforma » (2000)

Starzy Singers (Varsovie) c’est du Pixies à la Żubrówka avec Franz Blacksky à la guitare. L’après Strazy Singers est encore plus riche, ses membres partant dans toutes les directions : un groupe de Klezmer surf, un Magneto calliente, un beau bordel jazzy Felix Kubin & Mitch And Mitch, de l’elekraut psyché avec Slalom, un Bassisters Orchestra au trip-hop jazz feutré et enfin de l’électro barré avec Mazutti.

Split 19 Wiosen – Starzy Singers (1997) / « Rock-a-bubu » (1999)

Punk jazzo-hongrois

Vágtázó Halottkémek (Budapest) ou Galloping Coroners en anglais peut être vu comme l’ancêtre punk des Suédois de Goat dont les rites vaudous sont remplacés ici par le chamanisme des steppes eurasiatiques (les Magyars, des nomades originaire d’Asie Centrale, ont d’ailleurs légué leur nom au pays). Le grand architecte de Galloping Coroners s’appelle Attila Grandpierre et ce n’est pas un pseudo : le roi des Huns est une reusta en Hongrie et son prénom y est assez répandu (fort heureusement, Clovis l’est beaucoup moins en France). Quant au nom de famille de notre Attila, il provient d’un lointain ancêtre huguenot français ayant fui les guerres de religion. Attila est astrophysicien dans le civil et ses dernières recherches, qui mêlent cosmologie, biologie et entropie de Shannon, semblent plus le rapprocher de celles d’Igor et Grichka Bogdanov que de celles d’Alain Aspect. Kamoulox. Toujours est-il que Galloping Coroners distillait une musique incroyablement originale et puissante. Et ce dès les années 80 sous une dictature communiste (certes pas la plus cadenassée du pacte de Varsovie mais tout de même). Le groupe réussira même dans ces années-là à effectuer quelques incursions à l’Ouest (Allemagne, Pays-Bas) et à se faire connaître de figures du rock, dont Jello Biaffra qui sortira un des albums du groupe sur son label Alternative Tentacles.

« Jumping Out The World-Instinct » (1990) / « Hammering On The Gates Of Nothingness » (1992)

Saxophoniste vivant en France depuis 1986, Akosh S (Debrecen) s’est fait connaître d’un public plus large vers la fin des années 90 en collaborant avec Noir Désir en 1997 sur 666 667 Club et en ouvrant certains de leurs concerts. En cela, il est un peu le symbole d’une porosité assez unique entre jazz, musique d’Europe Centrale et une frange du rock Hongrois.

« Omeko » (1998) / « Elléter » (1998) / « Imafa » (1998)

Tudosok (Novi Sad en Serbie puis Budapest à partir de 1991) fait dans le jazz expérimental déjanté qui envoie du bois.

Másfél (Budapest) a un côté psyché-math-prog-rock-tutti quanti plus marqué mais les cuivres sont toujours bien là.

Tout comme Persona Non Grata (Szigetvár) qui manie à peu près les même ingrédients jazz, punk et joyeux boucan d’Europe Centrale.

Kampec Dolores (Budapest) était qualifié dans un documentaire consacré aux Instants Chavirés des années 90 de The Ex hongrois. D’ailleurs la chanteuse Gabi Kenderesi est créditée sur l’album « Joggers & Smoggers » des bataves en 1989. On la retrouve ainsi que le guitariste Csaba Hajnocy au sein de The Danubians en (2000), chez qui les frontières musicales sont tout aussi allègrement piétinées.

Kampec Dolores

Trottel (Budapest) a sorti en 1989 « Bordeline Syndroma » chez Gougnaff Mouvement, figure du rock alternatif hexagonal, ainsi qu’un live sur le label du fanzine poitevin On a faim ! La musique du groupe se complexifie par la suite pour flirter avec le Rock In Opposition et le rock progressif.

« The Same Story Goes On The Castle On The Peak » (1992)

Korai Öröm (Budapest) pratique une musique psyché moins chamanique et plus post-rock que Vágtázó Halottkémek mais il leur arrive tout de même de faire le coup du chant diphonique et du trip hop hunnique.

« Korai Öröm » (1995)  / « Korai Öröm » (1996) 

Tekintetes Úr fait dans le lo-fi magyar. Le groupe est décrit sur Discogs en ces mots « The band has conservative world view and matchless Eastern European sarcastic humour ». Étant donné l’état de la politique en Hongrie aujourd’hui, difficile de dire si leur vision conservatrice était si drôle que ça. Mais avec un premier album intitulé « Je suis tellement influencé par la Révolution française » on leur accordera le bénéfice du doute.

« Je suis tellement influencé par la Révolution française »

Czechgaze et Bratisla Noise

Si la Hollande est l’autre pays du fromage, la République Tchèque des années 90 est contre toute attente l’autre pays du shoegaze, comme en témoigne cette émission de MTV consacrée à la scène praguoise en 1993. On pourra même apercevoir sur la chaîne musicale des clips de certains de ces groupes comme Naked Souls (Prague) ou Toyen (Prague). Ce dernier effectuera une tournée aux US (dont un petit concert au CBGB). Tout ça à peine trois ans après avoir remballé le marteau et la faucille !

The Naked Souls : « Shady Ways Anticlockwise » (1995) / Toyen : « The Last Free Swans » (1992), « Malíř Smutnej » (1993) 

La scène shoegaze compte de nombreux autres éléments tels que Sheena’s normal day, Moving Holiday, Teen Love Sex Doll ou bien encore Ecstasy of Saint Theresa (Prague) dont des extraits du premier album seront diffusés par John Peel avant qu’il ne les invite pour une Peel Session. Les albums suivants du groupe vireront trip hop tandis que la frange noisy quittera le navire pour monter Umakart.

The Ecstasy of Saint Theresa : « Susurrate » (1992) , « Free D » (1994) , « In Dust 3 » (1999)

Le groupe Here (Vyškov) a la particularité de compter dans ses rangs une chanteuse française, Valérie Chauvey avec un y et non un t comme miss Saint-Etienne 1992 (et quatrième Dauphine de miss France 1993). Dommage, une reine de beauté qui s’exile en Tchécoslovaquie pour y faire du shoegaze, c’était le biopic assuré avec Marion Cotillard dans le rôle principal. Le bassiste a également joué dans Dirty Picture, indie noise sympathique.

« Swirl » (1993), « Double Happiness » (2000)

La scène shoegaze en Tchécoslovaquie est présentée en détail dans le livre « Shoegaze: My Bloody Valentine, Slowdive, Ride, etc. » de Victor Provis. L’auteur suggère notamment que l’émergence de cette génération spontanée de groupes serait due en partie à un ingé son anglais, Colin Stuart, parti vivre à Prague.

Ce Colin Sturat n’est d’ailleurs pas le seul anglophone ayant basculé à l’est : dans un tout autre style, le duo basse-bat’ Sabot (Tábor) composé de deux américains s’est établi en Tchéquie dès le début des années 90 pour y créer un centre culturel. Cousin de Belly Buton avec sa musique à la fois minimaliste et alambiquée, Sabot a sorti deux albums sur le label français Vicious Circle : « Somehow, I Don’t Think So » en 1996 et «Go There Do That » en 1998. La batteuse a par la suite chanté dans un groupe a capella moitié country moitié folk tchèque et officié plus récemment dans Polemica, un groupe de noise italien.

Dans un style différent mais tout aussi barré, Zabloudil/A pratique l’improvisation bruitiste depuis 1987.

Michael’s Uncle (Prague) est né en 1987. Inspirées du post-punk, les compos du groupe adoptent rapidement les sonorités brutes du hardcore et empruntent les chemins tortueux défrichés par des groupes comme Black Flag. Sur le troisième album, Michael’s Uncle rentre un peu dans le rang, ce qui n’enlève rien à la singularité des créations précédentes qui ont germé avant même la chute du communisme.

« The end of dark Psychedelia » (1990) / « Svině!! » (1992) / « Ale My Stále Hledáme Štěstí, Ale Nikdo Z Nás Ještě Není Mrtvev » (1995)

Post-hardcore bien rugueux de la fin des années 90, Gnu (Prague) ne cite que du beau monde comme influences : Killing Joke, Unsane, Girls Against Boys, Unwound, Shellac, etc. Les productions des années 2000 de Gnu sont également de tout premier plan.

Waawe (Tábor) pratique un indie rock bruyant et bariolé qui sait parfaitement bien emmêler les arpèges et les nappes de bruit dignes d’un June Of 44. On ne peut d’ailleurs qu’être totalement d’accord avec la chronique particulièrement élogieuse de Positiverage à propos de l’album suivant datant de 2002.

OTK (Prague) pratique depuis 1988 un rock indé à la Wilco, mêlant talent d’écriture et léger pète au casque. Si leur 1er album date de 1993, les albums des années 2000 sont plus faciles à trouver, avec « Sona a Kuva » pour sommet. On retrouve des membres du groupe dans Nesbitt’s Inequality, une formation plus typiquement noise et d’autres dans le projet électro expérimental Gurun.

Waawe : « Killing Highway » (1998) , « Timestorm Was the Signal » (2000)

Slut (Prague) fait dans le noise rock bien poilu du genou à la limite du metal avec de beaux moments de bravoure.

Lvmen (Prague) a un son plus post-hardcore et n’a pas peur des envolées screamo.

Le bruit de l’Ukraine

Les titres du 1er album d’Ivanov Down (Kyiv) n’auraient pas juré sur la compilation « No New York » de Brian Eno no. Entre no wave, post punk et musique industrielle, l’album « Best Urban Technical Noises » sorti en 1991 est bluffant ! Entre 1993 et 1995 Ivanov Down enregistre « Sansidaba » sur lequel le groupe se fait parfois plus dansant comme sur « I Walk Your Fish » et ce live sur une TV ukrainienne filmé par un caméraman soit bourré, soit tourneur-fraiseur dans le civil, soit tout émoustillé par le strip-tease qui a lieu sur scène (ou les trois). Un reportage retrace le parcours d’Ivana Down depuis les cours d’accordéon du guitariste pendant l’ère soviétique jusqu’à à la rencontre d’un membre du Gun Club. En 2022 Ivanov Down existait encore, le groupe a viré électro et c’est toujours très bon. On retrouve des membres de Ivanov Down dans Sheik Hi-Fi (Kyiv) qui joue les Sonic Kyiv.

Ivanov Down : « Best Urban Technical Noises » (1991) , « Killing Power » (1992) / Sheik Hi-Fi : « Isn’t May Dream – Sonic Dream » (1994)

Foa Hoka (Chernihiv) est une formation protéiforme : bruitiste et expérimentale à ses débuts puis de plus en plus électronique pour finir par produire des concerts à mi-chemin entre ceux de Snapped Ankles et un hypothétique gagnant punk de l’eurovision !

Uksusnik (Kyiv) est le groupe bruitiste du leader de Gogol Bordello, formé quelques années avant de quitter l’Ukraine pour les USA en 1992. Le morceau « Music Of Magic Flageollet » sent bon le bruit bio. La musique de Yarn (Kyiv) est sûrement trop calme pour être taxée de bruitiste mais difficile de résister à ces sonorités teintées de folklore et d’expérimentations. The Electricians ou Elektryky (Kyiv) a sorti en 1991 un album bruitiste et expérimental qui n’aurait pas dépareillé au sein de la scène bruitiste de la grosse pomme.

Godzadva (Kyiv) fait plus dans la pop et la new wave que dans le bruit mais impossible de ne pas parler de ce très beau « French Song » avec des paroles tirées de Verlaine et Robert Desnos.

« Sadismysmile » (1991)

A lire, à écouter : un article traitant de la scène de Kiyv et Karkhiv des années 90 et une compilation regroupant un grand nombre de formations de la scène underground des années 90. Slava Ukrain.

Estoniew wave

La seule chose qui soit arrivée en France en provenance d’Estonie dans les années 90 c’est Indra. Pourtant c’est dans ce petit pays d’à peine plus d’un million d’habitants que l’on voit apparaître les groupes les plus marquants des pays baltes, voire de l’ex-URSS. Le niveau de vie supérieur au reste de l’empire soviétique et sa proximité culturelle et géographique avec la Finlande y sont peut-être pour quelque chose, la langue estonienne étant cousine du finnois.

Röövel Ööbik (Tallinn) – en plus de détenir le record du nombre de trémas pour un nom de groupe – fait du shoegaze et a comme fait d’armes d’avoir passer leur version mamy nowave de « Mama Mia » chez John Peel (qui les invitera d’ailleurs en 1993 pour une Peel Session). La house fait son apparition sur le deuxième album, transformation qui se concrétisera par un changement de nom en Una Bomba.

« Popsubterranea » (1992) / « Psychikosmos » (1994)

Très beau morceau de dreampop rive gauche que ce « Ebeanol » tiré du second album de Bizarre (Tartu) de 1996 intitulé « Cafe de Flor » (pas de remarques sur la faute d’orthographe, essayez donc d’écrire « café branché de Talinn sur la rive gauche de la Pirita » dans une langue finno-ougrienne et on en reparle). On reste bouche bée devant la qualité des morceaux de cet album entre shoegaze, dreampop et musique électro.

« Beautica » (1994)

Metro Luminal (Tallinn) faisait dans la pop 80’s pour progressivement évoluer vers une musique plus marquante, comme cet album de 2004 avec un album particulièrement abouti. Trop tard pour les 90, si ce n’est que le titre « Hukkusid Autoõnnetusel » de 1994 est proprement ahurissant de modernité.

« Ainult Rottidele » (1994) , « Coca Cola » (1995)

Pedigree (Tallinn) faisait dans la noise sludge indus en 1995 puis il s’est mis à faire du bon gros metal qui tâche. Borax n’est pas le cousin balte du célèbre journaliste originaire du Kazakhstan, mais le side-project (pas désagréable du tout) du guitariste de Pedigree.

Borax : « Ballistic » (1995) / « C » (1995)

Même si la Lettonie semble moins fournie que sa voisine estonienne, on retrouve des traces de musique bruitiste et expérimentale dans Anna vannā kāpēc (déjà actif dans les années 80), de post-punk dans Project Hall (Limbaži) et de pure rock noise dans Kartāga (Riga). Idem pour la Lituanie avec Kancia (punk grunge) en 1993 et Glass Sky (Panevėžys, Lituanie) qui ferait passer Sonic Youth pour une fanfare de village.

Merci à Brice pour la relecture et Eric, guitariste de A Shape, pour nous avoir évité de passer à côté de Michael’s Uncle !

1 Une Ewa Braun polonaise a reçu un Oscar en 1994 pour les décors de la Liste de Schindler de Steven Spielberg.

2 L’Homme Machine est un ouvrage du médecin-philosophe libertin Julien Offray de La Mettrie (1709-1751) paru en 1748 à Leyde (merci Wikipedia)