Noise 2000 – Le turfu de la NF90

La playlist noise 2000

A l’aube des années 2000, la noise est mal barrée. Sonic Youth commence à radoter sévère. David Yow a rangé son hélicobite*, clouant au sol Jesus Lizard en 1999. Les Fugazi ont décidé de faire une pause. Un an plus tard, Girls Against Boys nous refait la même en couleur, ça fait 20 ans que ça dure (hormis un louable EP en 2013). Les Touch And Go boys et l’école de Chicago peinent à imposer leur stratégie du choc et commencent à disparaître un à un. Exit June Of 44 ou bien encore Blonde Redhead qui se détourne peu à peu de la saturation pour embrasser Gainsbourg et les plaisirs électroniques. Quant à Shellac, le groupe commence sérieusement à ressembler à une caravane qu’on sort du garage pour aller faire du camping aux quatre coins du monde et Steve Albini au tonton relou qui ressort les mêmes vannes à chaque fois qu’il vient manger à la maison (mais ça fait quand même toujours plaisir de les revoir).

I’m a plane!!

En France, les pertes ont été nombreuses et les déserteurs qui ont fui vers des terres apaisées sont légion. Prohibition a changé d’identité et a refait sa vie sous le nom de NLF3. Le groupe invente dès son premier album, « Part 1 – Part 2 » sorti en 2000, un post kraut protéiforme qui ne s’interdit rien, jusqu’à emprunter sur leur premier morceau les accents latinos d’Abraxas de Santana, laissant en PLS le noiseux pur et dur. Alors qu’Ulan Bator n’est plus que l’ombre de lui-même (seul demeure Amaury Cambuzat sur « Nouvel Air » en 2003), Olivier Manchon, le bassiste historique, signe en 2004 avec son projet fortement acoustique Permanent fatal Error un « Law Speed » flamboyant qui rappelle The For Carnation. Diabologum s’est scindé en deux factions ennemies qui respirent la bamboche, Experience et Programme. Si la première reste fidèle aux fondamentaux de « #3 » (« Aujourd’hui Maintenant » en 2001), la seconde se lance dans les cyber attaques par déni de joie de vivre avec une redoutable efficacité (« Mon cerveau dans ma bouche » en 2000). Certains membres de Bästard s’essaient avec brio au hip hop alternatif façon label Anticon avec Spade & Archer sur « Highway to Jail » en 2005 ou à la musique de scène (Narcophony, 2003). Le groupe renaîtra deux ans plus tard sous la forme d’un Zëro qui embrasse l’air du temps en réactivant leurs influences kraut à l’aide de guitares enrobées de synthés analogiques (« Joke Box »).

La bande son idéale pour un confinement réussi.

Il reste cependant quelques groupes isolés au fin fond de la jungle indé qui refusent de déposer les pédales disto et continuent le combat. Les Sleeppers adaptent leur technique de guérilla Unsane au matériel récupéré de l’ennemi metal et mènent coup sur coup trois assauts dantesques de 2000 à 2006, « Cut Off », « Interactions » et « Signals From Elements ». La noise industrielle de Kill The Thrill, à mi-chemin entre Swans et Bauhaus, n’a jamais été aussi intense et enveloppante que sur « 203 Barriers » qui sort en 2001. Tantrum, tel le colonel Kurtz, bascule en 2003 dans la folie post-hardcore à la Botch dans « The Frontier Bursts Into View » tandis qu’Heliogabale renoue en 2004 avec les actions coup de point avec l’abrasif « Diving Rooms ». Sur le front lyonnais, les gloires passées ont disparu mais deux jeunes pousses nées à la fin des 90’s prennent la relève. D’un côté Bananas At The Audience distillant un post-hardcore d’obédience fugazienne avec « Staring At The Surface » en 2003 – Bananas At The Drive-In mais sans les passages TV sur France 3 Rhone-Alpes – et de l’autre, Doppler, concentré de pur rock noise, sombre, énervé et dissonant sur « Si Nihil Aliud » en 2004.

La bande son idéale pour un déconfinement réussi.

Mais au mitan des années 2000, l’heure n’est plus vraiment aux conflits armés et la nouvelle génération est prête à participer dans la joie et la bonne humeur à la reconstruction de la noise. Rappelant les gloires passées de la sémantique que sont les Chats Sauvages de Dick et et les Chaussettes Noires d’Eddy, la noise 2000 a une furieuse tendance à se donner des noms d’animaux ou d’objets à la con**, ce qu’aucune étude sociologique n’a réussi jusqu’à présent à expliquer. On y croise des Harry Potter tout droit sortis de l’école Don Caballero, filière math sup / math rock, ressuscitant à l’aide de leur calculatrice Texas Instrument les sorcières frippones du prog rock mortes sur le bûché au temps du punk (Chevreuil). Des geeks (Marvin) à la technostalgie rappelant Trans Am, les Daft Noise qui ont réhabilité l’usage du vocoder (pas merci). Les passionnants Rien à l’identité mouvante qui n’a rien à envier à God Speed You Black Emperor ou les non moins excellents Electric Electric évoquant un Battles qui aurait grillé un Hot Snakes. Et tant d’autres qui, malgré leur nom de totem scout sous protoxyde d’azote, mériteront qu’un site leur soit consacré sur le minitel du futur en 2040.

La Colonie de Vacances avec Gazoduc, Essieu Arrière, Essuie-tout et Alvin.

* Qu’il ressortira à l’occasion de la reformation du groupe pour quelques concerts entre 2008 et 2010, dont un à la Villette Sonic marqué par un mémorable « C’était quoi cette merde ?? », parlant de la prestation de leur prédécesseur sur scène, Sunn O))), les Milli Vanilli du drone.

** Cheval de Frise, Papier Tigre, Gâtechien, Pneu, Poutre, Pylône, Turbo, Palette, Loisirs, Membrane. Attention un intrus s’est glissé dans cette liste, à toi de le découvrir.