Enragez-vous ! (1993, Black & Noir rds)

On entend souvent que « Indignez-vous ! », l’essai que Stéphane Hessel publie en 2010, hérite directement de l’approche des résistants français face à l’occupant et au gouvernement de Vichy, pendant la Seconde Guerre Mondiale. Dupés que nous serions par les déclarations en ce sens de son auteur. Fort heureusement, nous sommes là pour rétablir l’origine réelle de l’esprit du projet !

En 1993, Black & Noir records perçoit dans les réseaux français une vivacité étonnante, une force fraîche mais éparpillée à qui il ne manque qu’un trait d’union pour changer la donne d’un monde aux dérives inquiétantes. L’appel à l’alliance est lancé et en fin d’année, la compilation « Enragez-vous ! » s’installe dans les bacs. Son manifeste est explicite : « Contre cette humanité si peu humaine, destructrice de sa terre nourricière, enragez-vous ! Contre la course aux pouvoirs, contre les dictateurs de tous les jours, enragez-vous ! (…) Écoutez, regardez, pensez, enragez-vous ! ». 18 groupes répondent à l’appel. Les Thugs s’y offrent en français dans le texte (« Fier de ne rien faire » des Olivensteins), seul enregistrement du groupe dans sa langue maternelle jusqu’à son album d’adieu en 1999 (nan, « Allez les filles », sur Strike, ça compte pas.) Noir Désir se fend d’un titre inédit, « Back To You », fraîchement enregistré, alors que l’onde de choc Tostaky est en train de courber la France et l’Europe. Vocalement hors-norme. La jeunesse sonique française déroule : Drive Blind (époque biactol et premier EP), Arthur Kaos, Hems, Mush (encore quasi inconnus, tout comme Greedy Guts), Denis Barthe’s Blindfolded, Welcome To Julian qui extrapole Pink Floyd, ou encore Dirty Hands s’appropriant un Beatles. Zen Guerilla et Girls Against Boys, et son « Red Bar » suave et inédit, assurent les renforts transatlantiques.

« Enragez-vous ! » est le plus gros succès du label angevin. Bon, d’accord : ses troublants traits communs avec l’ouvrage « Indignez-vous ! », 17 ans plus tard, ne suffisent pas à en prouver la paternité (mais nous sachons). L’Histoire retiendra cependant que cette compilation deviendra un modèle pour de nombreux labels et associations françaises. La plupart des compilations visant à réunir les insurgés de la scène indé hexagonale des nineties s’en ressent.