L’énergie DIY et le complexe stéphanois : une interview de Salim Zouaraa, chanteur-guitariste de Sixpack

Parmi les groupes des musiques bruyantes des réseaux DIY français des années 1990 qui ont le pouvoir de déclencher une petite giclée de dopamine à leur simple évocation, il en est un, originaire de Saint-Étienne, qui tourne encore fréquemment sur nos platines : SIXPACK. Auteur de deux albums de haute volée et de tout un barboton d’autres objets discographiques à en avoir les ébarioles, comme on dit à Sainté (ou pas), Sixpack jouissait également d’une excellente réputation en live. Noise-moi a rencontré l’un des ingrédients clés de la recette secrète du groupe, sa voix, en la personne de Salim Zouaraa, qui a accepté de poser un regard rétrospectif sur les années Sixpack.

Sixpack en 1997, devant son ancien local de répétition (archives d’Olivier Peyron, merci à lui)

Noise-moi : Commençons par le commencement, avant d’intégrer Sixpack, tu écoutais quoi ?

Salim : Quand j’étais enfant et jeune adolescent, le funk, le reggae, toute la musique black, et seulement après, le punk rock. Du punk rock anglais, mais pas dans toute sa largesse. Je suis aussi un fan absolu des Pixies. Pas tant l’alternatif que ça, même si là où j’évoluais, ça s’écoutait beaucoup. Et puis, il y a eu la découverte, en seconde ou en première, je crois, des Thugs. Ça m’a troué le cul de voir des Français, comme nous, mais qui pouvaient tenir la dragée haute aux Américains, et ça, comme avec les Burning Heads, c’était classe.

Sixpack naît en 1990. C’est une bande de copains de lycée. Tu ne fais pas encore partie du groupe à ce moment-là. À quoi ça ressemblait à ses débuts ?

Je ne les ai pas vus live à cette époque. Maz, le chanteur de Zero Gain, notamment, était le premier chanteur. De mon côté, j’avais eu un groupe au lycée, et au tout début de la fac, c’était fini. Sixpack n’avait alors plus de chanteur mais continuait à répéter. On s’est rencontrés par petite annonce, en fait. On a fait une répète et puis au bout de celle-ci, on a convenu qu’on pouvait éventuellement s’entendre. S’en est suivi la découverte de ce qui se mettait en place dans ce qu’on appellerait “la scène stéphanoise”. Il y avait Sylvain (Fayard, NDLR) du fanzine Tranzophobia, maintenant de l’asso la France Pue. Il y avait Frank (Frejnik, NDLR) qui faisait le fanzine Violence, qui était légèrement plus vieux … On avait tous 18-19 ans, on était tous très jeunes.

Elle disait quoi, cette petite annonce ?

Je l’ai trouvée à la fac, dans le couloir principal au milieu de dizaines d’autres. Ils en avaient fait une grosse, bien chouette, calligraphiée, au milieu des « cherche appart’ », « vends chat » et tout ça. C’est Olivier (Peyron, le guitariste, NDLR) qui l’avait faite. Elle disait : “Groupe qui veut faire des concerts cherche chanteur”. Il y avait un numéro de téléphone à détacher. Il y avait au moins cent groupes marqués pour les influences ! J’en connaissais un tiers. Ça allait des Ramones aux Clash, et en dernier, c’était écrit “et bien évidemment … Nirvana”. C’était juste quand Nevermind est sorti … Ou il allait sortir. Ils étaient fans de Bleach, que je ne connaissais pas encore, mais ils avaient déjà une culture hardcore américain beaucoup plus importante que la mienne, à l’époque. C’est eux qui me l’ont fait découvrir.

Avec un « F » à Stéfanois. (archive d’Olivier)

Chacun avait une culture musicale étendue, quels étaient les références communes ?

La musique noire, les Beatles, le punk rock anglais. L’américain aussi, mais d’abord l’anglais. Le reggae, même si on n’en a jamais fait. On aimait trop ça pour mal le jouer !

Les Burning Heads avaient pourtant franchi le cap, pourquoi pas vous ?

Ah oui, mais ils jouaient mieux que nous, eux ! Et puis peut-être qu’on l’aurait fait si on avait duré un peu plus, on aimait tous ça.

Vous aviez des objectifs au début, à ton arrivée ?

Non, parce qu’on ne pensait pas comme ça, on n’a jamais pensé comme ça. Ils étaient déjà très, très imprégnés de cette culture DIY. On faisait cette musique parce qu’on aimait cette musique. Il y avait ce côté amour, respect, et se donner les moyens de faire un truc propre. Mais, chez Sixpack, il n’y a jamais eu plus d’ambition. Il aurait peut-être dû y avoir plus d’ambition, même.

C’était quoi, votre processus de composition ?

Ça dépendait. Des fois, c’était des riffs d’Olivier, des fois, c’étaient des chansons de moi, et des fois, c’était tout le monde en même temps. Par contre, “on part d’une chanson folk et puis on l’électrise”, ça, y avait pas !

Ça ne s’entend pas du tout, cette diversité d’approches de la composition. En écoutant la discographie à partir de 1994, elle est hyper cohérente, c’est impressionnant d’entendre ça.

Je ne dirais pas que ça n’était pas réfléchi. Mais parce que tout le monde avait une grosse culture musicale, il fallait défendre une idée pour qu’elle soit validée par le reste du groupe.

Donc, il y a des morceaux que vous avez rejetés ?

Ah oui !

Dès vos débuts, vous répétez beaucoup, et vous composez efficacement, puisque très rapidement vous arrivez à avoir une setlist et des disques qui sortent les uns derrière les autres, jusqu’à l’arrivée du premier album.

Il y a deux périodes : avant et après le premier album. La première période, c’est plus une collection de titres et de concerts. On avait fait un 45 tours grâce à Frank (Frejnik NDLR), mais au début, on n’était pas tous aussi pressés de faire un disque que ça. Mais ça, c’est le complexe stéphanois. Et après, on s’est mis à répéter tous les jours et à faire plus de concerts. Dès qu’on avait des morceaux, on les enregistrait. C’est pour ça qu’il y a eu profusion d’EP, compilations, etc. Et puis le label Spliff Records nous a proposé de faire un album.

Attends, c’est quoi le complexe stéphanois ?

Ne pas croire qu’on puisse vraiment s’exporter, quoi. Un côté « on a déjà tout ce qu’il nous faut, pourquoi aller plus loin ? ». Je le vois comme ça avec le recul, mais je le pensais déjà un peu à l’époque : il y avait notre microcosme, une scène, et pas beaucoup de groupes qui avaient vraiment envie d’aller loin. Je ne sais pas si c’est de la fainéantise, du snobisme, de la non-confiance en nous, ou un mélange des trois, mais en tout cas, c’était pesant.

Il manquait peut-être encore un groupe pionnier en la matière, qui avait déjà commencé à s’exporter ?

Non parce qu’il y avait eu une génération de gens qui avaient déjà fait d’autres trucs. Babylon Fighters, par exemple, qui existait depuis 10 ans quand on a commencé, et d’autres groupes stéphanois, pas forcément punk rock, qui s’étaient exportés. Mais à l’époque des débuts de Sixpack, c’était un sujet de débat entre nous. Des débats houleux, parfois. Je ne sais pas d’où ça venait. Ça a changé bien heureusement, depuis.

Tu es stéphanois, toi, d’origine ?

Je suis de la Loire, ouais. Je ne suis arrivé à Saint-Étienne que pour mes études. C’est vraiment ma ville de cœur, et c’est celle dont je me revendique. Moi tu sais, je suis issu de l’immigration, donc partout où j’ai été, on m’a toujours dit que j’en étais pas. Donc je m’en fous, en fait. Enfin je m’en fous, non c’est chiant, mais on s’y fait. On est d’où on pense qu’on est, je crois.

Arrive la période où vous allez enregistrer « Doubt And Other Feelings », votre premier album. Et là, grosse galère.

T​​u sais plein de choses ! Cet album a été enregistré deux fois, effectivement. Une première fois avec Pascal Ianigro à Angers. Les gens du label (Spliff Records, NDLR) le trouvaient super bien, mais nous, pas. Satisfaits ni de nous, ni du résultat. Ce n’est pas qu’on ne s’est pas entendus avec Pascal, mais c’était une période bizarre, il avait des galères de studio, et peut-être qu’on n’était pas assez près. Donc, on l’a enregistré une seconde fois à Lyon avec un monsieur qui s’appelait Julien Escoffier, paix à son âme, qui nous avait été présenté par Hugo de Garlic Frog Diet. Avec Julien, ça s’est fait confortablement, et on était beaucoup plus contents du résultat.

Il a changé la donne, cet album ?

Oui, on a eu beaucoup de bonnes presses. Donc on a trouvé plus de concerts. Pas autant qu’on voulait … peut-être aussi pas autant qu’on aurait dû en chercher, mais bien évidemment qu’il nous a permis d’être localisés. Autant par les gens qui écrivaient des choses, que par les gens qui organisaient des concerts, et par des groupes, notamment les Burning Heads et les Thugs qui très tôt nous ont encouragés et aidés.

De gauche à droite : Salim, Max, Olivier, Eddy. Concert à Saint-Bonnet-Le-Château, 15 juin 1996. Photos de Louison, archives d’Olivier.

Là, il se passe une période assez faste, qui conduit au deuxième album, Reading History, pour nous un chef-d’œuvre. Et on lit dans votre bio (sur Nineteen Something) : “le groupe répète 4 à 5 fois par semaine durant une bonne partie de l’année 1997, suscitant à Saint-Étienne commérages et jalousie. Sixpack ne joue d’ailleurs qu’une fois dans sa ville natale cette année-là. L’underground stéphanois sent son groupe fétiche lui échapper. Il est désormais à la mode de le trouver trop mélo ou trop pleurnichard.”

Ouais ça se passait un peu comme ça. C’est un copain, Thierry Toulon, qui a écrit ça. Ça peut faire la liaison avec notre côté stéphanois … C’était perturbant de ne plus avoir leur soutien pour des raisons ineptes. C’est dommage parce qu’il n’y avait pas de raison de se prendre la tête comme ça. Mais moi, j’ai toujours fait face à ça. Pas dans le silence. Ça m’embêtait, mais ça ne m’a pas posé de problème de le dire, à qui je devais le dire.

Quand vous avez fait l’album « Reading History », est-ce que vous avez eu l’impression d’être montés d’un cran ?

Oui, parce qu’on pensait l’avoir mieux écrit et avoir un bien meilleur son, qui se rapprochait plus de ce qu’on voulait. Ce qui est marrant, c’est que l’époque de la composition de Reading History, avant l’enregistrement, était très conflictuelle entre nous. On arrivait toujours à trouver une entente, mais c’était une période particulièrement houleuse dans les vies de chacun et dans nos relations. Ça ne s’est pas fait dans la tendresse mais on avait tous vraiment envie de le faire comme il faut.

Et la réception de l’album ?

Dans mon souvenir, très bonne. Mais on ne s’est jamais acoquinés avec les personnes qu’il fallait pour les tournées. On aurait dû jouer beaucoup plus que ça. On n’a peut-être pas assez mis d’énergie pour qu’il se passe plus de choses. On a peut-être un peu attendu qu’on vienne vers nous, alors qu’on aurait dû plus le faire tout seuls.

Est-ce que vous aviez assez d’énergie pour ça ?

Il aurait fallu en mettre plus. Mais ce n’est pas un regret, ça s’est passé comme ça. On est admiratifs des groupes qui “sacrifient” tout pour leur projet, parce qu’il n’y a que comme ça que ça peut marcher en DIY, que tu peux avoir des résultats, peu importe leur ampleur. Tu mangeras mal, tu ne gagneras pas beaucoup de sous, mais si tu veux jouer, c’est ça qu’il faut.

Sixpack a traversé les frontières ?

On a pu jouer en Italie, en Espagne. Via Franck, on a connu Roberto (Gagliardi, basé à Rome, NDLR), de la Banda Bonnot. On a aussi eu des très bons contacts avec Bcore, qui nous ont fait jouer en Espagne. Puis on est devenu très copains avec les gens de Aïna, qui était un super groupe.

Vous arriviez à vivre du groupe ?

A la fin, on arrivait à faire quelques cachets. On les faisait tourner pour trois du groupe. Et puis quand on était enfin prêts à tout faire, et bien, il y a eu des choix personnels qui ont fait qu’on s’est arrêtés. Ceci dit, on a recommencé un an après avec Wei-Ji.

Est-ce qu’il fallait absolument changer de nom ? Est-ce qu’il fallait tuer Sixpack pour pouvoir remonter un projet ?

Mouais… je ne sais pas s’il faut invoquer une telle symbolique, mais comme on a un côté un peu janséniste, il y avait un peu de ça. Par contre, musicalement, mis à part le souhait d’enlever encore un peu de la saturation, Wei-Ji c’est la continuité de Sixpack … Les quatre mêmes personnes …

Moins de saturation et ajout de violoncelle

Oui, c’est Hasmig Fau (Knickknack Paddywhack), et Guillaume Kemener (Happy Anger), deux très bons amis, qui ont fait tous les violoncelles de Wei-Ji.

Donc Wei-Ji est un peu moins stéphanois et un peu plus lyonnais que Sixpack, du coup ?

Non, eux c’était des amis invités ! On n’a jamais fait de live ensemble. Mais tu sais, tous les albums de Sixpack et Wei-Ji ont été enregistrés par des Lyonnais : Julien Escoffier pour le premier, Eric Rageys et Wilo Siméan pour le second …

Est-ce qu’avec tous ses liens avec la scène lyonnaise, Sixpack est un peu une exception au milieu du microcosme stéphanois, ou alors est-ce qu’on fantasme cette rivalité légendaire ?

Bon, la rivalité du football, on va la laisser de côté, hein, parce que j’aime bien le foot et j’ai plein de copains lyonnais avec qui on se chambre là-dessus ! Mais on n’est pas des hooligans ! Pour les groupes, à notre époque, il y avait Frank Violence et son fanzine qui était distribué à Lyon, qui connaissait plein de monde, comme les Silly Hornets (Asso lyonnaise qui organisait des concerts, NDLR). C’est comme ça que Max (Charbonnier, batteur de Sixpack, NDLR) et Eddy (Crouzet, le bassiste, NDLR), qui vivaient à Lyon pendant leurs études, les ont connus aussi. Il se trouve qu’on a joué très tôt avec Condense et qu’on est devenu très copains. Ça va faire 30 ans, et c’est vraiment des supers amis, pour moi. Toutes ces relations se sont faites sans qu’on pense ni à Saint-Étienne ni à Lyon. Après, on s’est toujours chambré sur la Quenellie, les Bouts de charbon … mais on faisait la même musique, on écoutait les mêmes choses. On a enregistré le premier album à Lyon. Il a d’ailleurs fallu batailler pour qu’Eric (Rageys, NDLR), dont j’étais fan du travail du son chez Condense, accepte d’enregistrer notre second album, parce qu’autant il aime le live, autant il n’aime pas le studio. C’était en tout cas des points communs artistiques ressentis qui ont fait que se sont développées d’abord des relations, et après des amitiés, avec une incidence sur le travail qu’on a produit. Tu en avais toujours à Sainté qui ne voulait pas être avec des Lyonnais, mais c’est tellement pas dans ma psyché que pour nous, ça s’est fait naturellement.

Comment trois titres de Wei-Ji se sont-il retrouvés sur la B.O. de Baise-moi ? Est-ce qu’il y a une rencontre avec Virginie Despentes, est-ce que vous vous connaissiez auparavant ?

Je l’ai croisée plusieurs fois sur les trente dernières années, mais ça s’est surtout fait par le biais de Varoujan, de Condense. Elle aimait bien Sixpack, et elle a demandé à Varou de nous contacter. Ça a relancé un peu plus vite Wei-Ji. Parce qu’on n’était pas aussi pressés, en fait … Quand elle nous a demandé, on avait à peine repris les répètes !

Sur l’ensemble de la vie de Sixpack/Wei-Ji, quels sont les événements qui ont le plus compté pour toi ? De manière positive ou négative.

Plein de rencontres … Frank Frejnik, Eric Sourice, qui étaient déjà très proches des gens de Sixpack. Je les ai tous connus en même temps. Ça, à titre personnel, c’était très important de pouvoir arriver directement dans ce milieu, entre guillemets, dans « le saint des saints », d’être tout de suite bien entouré, tout de suite bien aiguillé, c’était génial. Après notre première démo, les Burning Heads nous ont téléphoné pour nous faire jouer avec eux. Au moment du premier 45 tours, c’est les Thugs. Puis Spliff Records nous a proposé de faire un album, puis le second, dont on est très fiers … Tout ça, ça nous a beaucoup aidés. Mon seul petit regret, c’est qu’on n’a jamais été assez synchro, tous les quatre, pour pouvoir se mettre à 100% dedans. C’est dommage, on aurait pu en faire plus. Bien plus. Mais bon, c’est très bien comme ça, hein.

On aurait pu en faire plus. Bien plus.

Est-ce que vous avez vécu avec Sixpack/Wei-Ji des moments assez improbables dont vous rigolez encore aujourd’hui ?

Ouais, par exemple, vous vous souvenez de ce festival à Fontenay-le-Comte, un gros festival ? L’année où on a joué, il y avait Melvins, Shellac, plein d’autres trucs. Comme on est de Sainté, on avait pris un hôtel, la veille. Arrivés à Fontenay-le-Comte, on n’a pas trouvé l’hôtel ! Me demande pas pourquoi, il n’y avait pas de maps et tout ça, à l’époque. On a dormi comme des cons sous un chapiteau couvert, pas chauffé. On s’est gelé, mais gelé, gelé ! L’hôtel était à côté. Ça, c’est nous. Une autre fois, on est allés dans un festival avec Drive Blind, Tantrum, et d’autres, dans le Sud-Ouest. On était conduits par Ludo qui était animateur à l’Adapei, et on était partis avec un camion d’handicapés. Quand on est arrivés là-bas, c’était rigolo. C’était pas pro jusqu’au bout des ongles, l’histoire.

On a lu ça et là, un surnom qui t’était attribué pendant les années Sixpack / Wei-Ji : “Bob Mouloud”. Ça te faisait plaisir ou pas du tout ?

On adore tous Hüsker Dü, mais c’est pas notre groupe préféré. J’ai une voix nasillarde, ok, mais si on me dit que c’est exactement pareil, je ne trouve pas : il chante beaucoup mieux que moi. Des gens plus anciens comparaient plutôt mon côté nasillard à Peter Gabriel. Mais le lire dans les fanzines ou des gens qui le disaient, non, ça m’a toujours fait plaisir, hein. Je serais menteur de dire l’inverse. Quand c’était redondant en soirée, ça pouvait m’agacer. Je suis un peu susceptible ! “Bob Mouloud”, c’était l’œuvre de Thomas des Burning Heads, je crois. Et j’en avais un autre : “Ben Chambers” ! Tu vois, c’est pas bien loin.

Ouais, il y a toujours l’idée quand même d’être le Ben ou le Mouloud de service.

Ah oui, tu veux dire, l’immigré de service ? Ouais, mais c’est des amis, hein, je ne leur en veux pas. C’est un bon jeu de mots. C’est vrai que c’était récurrent dans les écrits, mais je ne l’ai jamais mal pris, franchement.

Est-ce que tu vois quand même quelque chose lié à la classe sociale ? Tu viens d’un milieu où l’on ne s’attendrait pas à voir quelqu’un faire du rock ou de l’indé, où la bourgeoisie semble être majoritaire.

Ça m’a toujours siphonné. Je l’ai déjà dit dans des interviews. C’était un sujet de conversation récurrent avec les copains. J’aurais aimé voir plus de gens d’autres origines, dont les miennes, dans nos concerts. Il y en avait quelques-uns, mais on était toujours très minoritaires. J’aurais aimé voir plus de blacks, j’aurais aimé voir plus de gens prolétaires. Effectivement, si tu y vas vraiment en grattant, même si c’est du punk-hardcore DIY, comme dans tous les milieux culturels, oui, il y a beaucoup plus de gens bien nés que mal nés. Mais tu ne peux pas t’en prendre aux origines sociales des gens. Par contre des fois, tu peux l’avoir mauvaise quand des gens bien nés viennent te faire des leçons de prolétariat. Mais ça, c’est un classique de la vie en France, ça n’a rien à voir avec le punk-rock. Mais, je suis très content d’avoir fait ces rencontres, d’avoir écouté ces disques. Cela m’a permis de m’émanciper de plein de choses et de me construire. Je ne serais pas un parent comme je le suis si je n’avais pas vécu comme ça.

Il y a quand même toujours cette idée que tu te construis dans l’adversité.

J’aimerais ne plus l’avoir, mais malheureusement …

Qui s’occupait de promouvoir Sixpack ?

Pas mal moi !

Ça te prenait combien de temps ?

C’était trop long, trop long ! Le téléphone. En plus, j’aime pas trop ça. On a été aidé, un peu, mais jamais à fond. C’est cent fois mieux aujourd’hui, par contre, il y a pas photo ! Les progrès technologiques et les réseaux sociaux, je trouve ça super bien ! Que tu puisses faire une page Facebook en 2-2, que tu trouves les contacts et en un clic envoyer ton disque ou ta démo à 500 personnes, c’est cent fois plus cool qu’à l’époque ! Après, il faut les relancer. De toute façon, il y a l’investissement des groupes pour trouver des concerts et la réaction des gens, ça tu ne pourras pas y couper. Mais c’est mieux que de coller des timbres.

De fait, vous avez dû faire des objets pour la promo, des lettres types, des pressbooks, ou des photos. Il ne t’en reste pas des cartons ?

Non, je ne suis pas du tout conservateur. J’en ai brûlé beaucoup, des choses, il y a une vingtaine d’années …

« Sales Gamins », la première démo de Sixpack en 1990, alors avec Maz(out) au chant. Archive d’Olivier.

Est-ce que la fin de Wei-Ji a été précipitée par les problèmes d’audition de Max, le batteur, et comment va-t-il ?

Aucun d’entre nous ne le tiendra responsable. Il a pu enregistrer le dernier disque, mais n’a pu faire que quatre concerts. On a dû arrêter. A cette époque-là, on ne se sentait pas capables de prendre quelqu’un d’autre, parce qu’on était vraiment tous les quatre, voilà. Ensuite, il n’a pas pu faire de musique pendant très longtemps. Mais maintenant qu’il est appareillé et que les technologies modernes le permettent, il rejoue ! Max n’est plus batteur, il joue maintenant de la basse dans Vanilla Blue, avec Olivier (ex-Sixpack également) et Junior (Post Silly Poulps, Boxing Elena, Zero Gain). Ils ont déjà fait deux albums et en préparent un troisième pour l’été prochain. Donc il va très bien !

Dans la foulée de Wei-ji, tu te lances en solo, en acoustique

Un disque est sorti en 2003 sur Jarring Effects sous le nom de Busyman. Au début, il y avait Hasmig au violoncelle, moi à la guitare et Franck Laurino, le batteur de Zëro, Bästard et Deity Guns. On a eu une formule live d’abord à trois. Puis, Hasmig a eu ses enfants, et a été obligée d’arrêter. Une violoniste stéphanoise nous a alors rejoints, et après Olivier est venu jouer la deuxième guitare.

Tu disparais un peu des radars en 2005 …

Parce que Busyman n’a pas vraiment marché, « n’a pas trouvé son public », comme on dit dans la presse. Et puis, et puis, et puis, la vie, un enfant. Oui, j’ai disparu 15 ans.

Tu as fait quoi pendant ces 15 ans-là ?

J’ai travaillé, je me suis occupé de ma famille. J’ai fait deux ou trois featuring, un avec Zëro, une ou deux compiles, je crois. Et puis pas grand-chose, je n’avais plus envie de jouer de musique, parce que j’étais un peu déçu que Busyman n’ait pas pu jouer plus. Mais j’ai toujours fait quelques chansons …

Reprendre du service a continué à te trotter dans la tête jusqu’à 2018-2019, date de formation de Go Public! ?

Il y a eu le Covid. On n’avait vraiment rien à faire, nous les intermittents, et là je me suis dit que ça pouvait être l’occasion. Donc j’ai branché Varou, que je voyais régulièrement et avec qui on avait déjà fait des démos pour d’autres choses. Il m’a dit OK. Varou est un vrai musicien et sans tout son apport harmonique, mélodique, technique, ces chansons folk n’auraient pas donné cet album du tout, il a d’ailleurs entièrement écrit certains des titres. Il ne faut pas pas oublier l’apport instrumental de Thibaud et Hugo et tout le travail de production, mastering d’Alex « Boule » Borel qui a beaucoup apporté à nos compos de par son investissement et son intérêt. Et puis après, ben … on a enregistré deux fois ! Ça doit être moi, ça !… On n’était pas contents du résultat et du jeu de batterie, donc on a changé de batteur, et on a tout réenregistré en 3 jours.

Est-ce que ton expérience d’intermittent dans la technique du spectacle vivant a une influence sur ta musique, aujourd’hui ?

Aucune visée de professionnalisation, de quoi que ce soit, avec Go Public!. Je souhaite que ce soit complètement indie et Do It Yourself. Ce qui n’empêche pas d’avoir l’aide de labels, par exemple.

Quels sont les projets de Go Public! pour 2024 ?

On fait quatre concerts là, à partir du 31 janvier, notamment le 31 avec Samiam à Lyon. Nous allons à Orléans, à Bourges, puis dans la Loire, un concert en campagne. Go Public!, c’est une histoire d’emploi du temps. Quand on trouve des périodes, et bien on fait des dates ! Ça suit son cours …

Est-ce qu’il y a des disques qui t’ont marqué en 2023 ?

Je suis un grand fan d’Algiers, très, très grand fan. Je trouve ça vraiment super bien. J’aime bien le Fragile. Saffron Eyes aussi.

En tant que musicien dans un groupe au cours des années 1990 et d’un groupe aujourd’hui, et en plus en tant que professionnel du spectacle, tu es on ne peut mieux placé pour avoir observé les grands changements ! Quelles sont les différences importantes entre la vie d’un groupe des années 1990 versus aujourd’hui ?

Déjà, il y a beaucoup plus de gens compétents dans les studios, des gens qui jouaient dans des groupes à l’époque qui sont maintenant des bons ingénieurs du son, j’en croise tout le temps, toute l’année. Je travaille pour des grosses structures, et je vois plein de gens avec lesquels on a commencé, sur des grosses tournées françaises. Et ces musiciens, ceux qui sont restés dans le circuit, commencent à avoir des belles carrières, je trouve. Alors, pas forcément à la Sonic Youth, mais quelques anciens du rock français commencent à avoir une sacrée discographie, et je trouve ça classe. 

Tu veux dire que dans les années 90, l’encadrement n’avait pas la qualité d’aujourd’hui ?

C’était en train de se construire. C’était le balbutiement des SMAC. A titre personnel, les SMAC, pour moi, c’est un projet un peu schizophrène. Je trouve qu’elles n’aident pas assez les jeunes groupes, et il y en a des super. Je me remets à resuivre cette scène depuis un ou deux ans, alors que j’avais complètement mis ça de côté. Il y a Fragile, le groupe de Félix Sourice et ses amis, d’Angers, pour parler de labelmate, par exemple ! Ce qui m’interpelle, pour ce qui concerne le punk rock, c’est une ultra professionnalisation que je trouve ennuyeuse. Voir un groupe qui a fait deux concerts et qui vend quatre t-shirts différents, des stickers et tout, ça m’enlève du rêve. Ils devraient plutôt dire qu’ils veulent être des musiciens professionnels, ce qui n’est pas un mal en soi… Mais moi, je suis très vieille école, Dischord à fond, quoi. Je préfère un disque brinquebalant fait avec amour qu’un disque ultra produit par des gens qui savent même pas qui est H.R. (des Bad Brains, NDLR). Caricature extrême, hein ! Mais voilà, j’aurais toujours plus d’intérêt pour quelque chose qui est passionné.

Ce qui se faisait à l’époque était plus amateur, mais plus sincère, et aujourd’hui plus, on va dire, artificiel et mieux fichu ?

C’est pas aussi réducteur que ça, parce que je ne peux pas blâmer des groupes qui se sont professionnalisés et qui ont battu le terrain. Il y en a même que j’admire, comme Uncommonmenfrommars, ou les Burning Heads en tout premier lieu. Même si en France, il y a l’intermittence, avec la musique qu’on fait, c’est extrêmement dur de devenir musicien professionnel. Plus encore aujourd’hui, même. Ce que je recherche toujours, c’est le fond. Voir les groupes sur scène et les voir ensuite au merchandising, ça me donne déjà une bonne idée de leur propos. Ce n’est pas vers la plus organisée des musiques que mes oreilles se tendent.

L’entraide, ça a changé, tu penses ?

J’en ai aucune idée. Il doit bien y avoir toujours des groupes « tonton » qui font jouer un jeune groupe sur lequel ils flashent. En tout cas, j’espère ! Mais l’entraide, il ne faudrait pas trop la mystifier, parce que ce n’était pas aussi réel que ça, à l’époque. Ce n’est pas grave, c’est comme ça, quoi. Si tu n’as pas un vrai intérêt sur un groupe, ou sur les membres de ce groupe, on ne peut pas forcer les choses. Il y a eu de l’entraide, c’est vrai, mais cette époque aussi avait ses petites chapelles, quoi qu’on en dise.

Vous avez senti des moments où vous ne faisiez pas partie du bon sérail ?

Non, parce qu’on n’en avait un peu rien à branler. Ça, c’est le bon côté de Saint-Étienne ! Le DIY, c’est aussi ça : tu emmènes ton groupe jusqu’où tu veux qu’il aille, sans compter sur les gens. C’est ton énergie qui fait que les gens viennent vers toi. Je l’ai compris beaucoup plus tard.

C’est ton énergie qui fait que les gens viennent vers toi

Est-ce que tu as des choses à ajouter pour conclure ?

J’aimerais juste ajouter que sans mes trois amis, je ne l’aurais pas fait, et tout ce que je vous ai dit n’aurait pas de sens sans eux. La voix c’est souvent revenu, j’en suis le premier flatté, je ne vais pas faire de fausse modestie, mais réduire Sixpack à ma voix, c’est très réducteur. Sixpack, c’est vraiment quatre personnes.

Ça te gêne d’être mis en avant ?

Oui, tout le temps, parce que ce n’est pas dans ma nature. Même si je suis une forte personnalité et que je sais répondre quoi à qui, dans la réalité, je ne suis pas quelqu’un qui aime ça. C’est un peu con pour quelqu’un qui chante dans un groupe ! Sur scène, je l’assume très bien, mais hors, c’est pas dans ma nature de tirer la couverture à moi.

Tu as de la nostalgie pour cette époque ou pour le groupe ?

Je ne pense pas. Je suis très content que ça se soit passé et qu’on soit toujours amis, c’est même l’essentiel. On a eu des périodes un peu houleuses, mais l’essentiel, c’est que 25 ans après, on est très, très, très amis. Ça, c’est vraiment important.

C’est ce que tu recherches dans Go public! ?

Je le souhaite, en tout cas. Que ce soit simple, sincère et honnête.

(Merci à Lætitia d’avoir joué l’entremetteuse entre Salim et nous, merci également à Christopher et Yohan qui ont alimenté cette interview grâce à leurs questions sur nos réseaux)